Page:Laforgue - Moralités légendaires.djvu/131

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de rat, quelques-unes chavirées et se débattant, mais sans doute d’elles-mêmes ainsi pour s’étriller…

Et sous de chaotiques arcs-de-triomphe en ruines, des anguilles de mer s’en allant comme des rubans frivoles ; et des migrations à la bonne aventure de nuclœus hirsutes, cils en houppe autour d’une matrice qui s’évente ainsi dans l’ennui des longs voyages…

Et des champs d’éponges, d’éponges en débris de poumons ! des cultures de truffes en velours orange ; et tout un cimetière de mollusques nacrés ; et ces plantations d’asperges confites et tuméfiées dans l’alcool du Silence…

Et, à perte de vue, des prairies, des prairies émaillées de blanches actinies, d’oignons gras à point, de bulbes à muqueuse violette, de bouts de tripes égarées là et, ma foi, s’y refaisant une existence, de moignons dont les antennes clignent au corail d’en face, de mille verrues sans but ; toute une flore fœtale et claustrale et vibratile, agitant l’éternel rêve d’arriver à se chuchoter un jour de mutuelles félicitations sur cet état de choses…

Oh ! encore, ce haut plateau où, collée en ventouse, la Vigie d’un poulpe, minotaure gras et glabre de toute une région !…

Avant de sortir, le Pope des Neiges se tourne vers le cortège arrêté et parle, comme récitant une antique leçon :

« Ni jour, ni nuit, Messieurs, ni hiver, ni printemps, ni été, ni automne, et autres girouettes. Aimer, rêver, sans changer de place, au frais des imperturbables cécités. Ô monde de satisfaits, vous êtes dans la béatitude aveugle et