Page:Laforgue - Moralités légendaires.djvu/149

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Or là, sur un coussin, parmi les débris de la lyre d’ébène, la tête de Jean (comme jadis celle d’Orphée) brillait, enduite de phosphore, lavée, fardée, frisée, faisant rictus à ces vingt-quatre millions d’astres.

Aussitôt l’objet livré, Salomé, par acquit de conscience scientifique, avait essayé ces fameuses expériences d’après décollation, dont on parle tant ; elle s’y attendait, les passes électriques ne tirèrent de la face que grimaces sans conséquence.

Elle avait son idée, maintenant.

Mais, dire qu’elle ne baissait plus les yeux devant Orion ! Elle se raidit à fixer la mystique nébuleuse de ses pubertés, durant dix minutes. Que de nuits, que de nuits d’avenir, à qui aura le dernier mot !…

Et ces orphéons, ces pétards, là-bas, dans la ville !

Enfin, Salomé se secoua en personne raisonnable, remontant son fichu ; puis dénicha sur elle l’opale trouble et sablée d’or gris d’Orion, la déposa dans la bouche de Jean, comme une hostie, baisa cette bouche miséricordieusement et hermétiquement, et scella cette bouche de son cachet corrosif (procédé instantané).

Elle attendit, une minute !… rien par la nuit ne faisait signe !… avec un « allons ! » mutin et agacé, elle empoigna la géniale caboche en ses petites mains de femme…

Comme elle voulait que la tête tombât en plein dans la mer sans se fracasser d’abord aux rochers des assises, elle prit quelque élan. L’épave décrivit une phosphorescente parabole suffisante. Oh ! la noble parabole ! — Mais la malheu-