Page:Laforgue - Moralités légendaires.djvu/186

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la voyons n’était qu’une déchéance ! Et les jours où elle se met à secouer cet état (liquide) ! Et ceux plus intolérables où elle prend des tons de plaie qui n’a nulle face de sa trempe à mirer, qui n’a personne ! La mer, toujours la mer sans un instant de défaillance ! Bref, pas l’étoffe d’une amie (Oh, vraiment ! renoncer à cette idée, et même à l’espoir de partager ses rancunes après confidences, si seul à seul qu’on soit depuis des temps avec elle.)

Ô patrie monotone et imméritée !... Quand donc tout cela finira-t-il ?

— Eh quoi ! en fait d’infini : l’espace monopolisé par la seule mer indifféremment illimitée, le temps exprimé par les seuls ciels en traversées indifférentes de saisons avec migrations d’oiseaux gris, criards et inapprivoisables ! — Eh ! que comprenons-nous à tout cela, que pouvons-nous à toute cette bouderie brouillée et ineffable ? Autant mourir tout de suite alors, ayant reçu un bon cœur sentimental de naissance.

La mer, cette après-midi, est quelconque, vert-sombre à perte de vue ; moutonnement à perte de vue d’innombrables écumes si blanches s’allumant, s’éteignant, se rallumant, comme un innombrable troupeau de brebis qui nagent, et se noient, et reparaissent, et jamais n’arrivent, et se laisseront surprendre par la nuit. Et par là-dessus, les ébats des quatre vents, leurs ébats pourl’amour de l’art, pour le plaisir de tuer cette après-midi à fouetter, en poussières qui s’irisent, les crêtes d’écume. Oh ! qu’un rayon de soleil passe et c’est sur le dos des vagues la caresse d’un arc-en-ciel comme une