Page:Laforgue - Moralités légendaires.djvu/187

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riche dorade qui a monté un instant et aussitôt replonge, stupidement méfiante.

Et c’est tout. Ô patrie imméritée et monotone !...

Jusque dans la petite anse aux deux grottes feutrées de duvets d’eider et de pâles litières de goémons, la vaste et monotone mer vient panteler et ruisseler. Mais sa plainte ne couvre pas les petits gémissements, les petits gémissements aigus et rauques d’Andromède qui, là, à plat-ventre et accoudée face à l’horizon, scrute sans y penser le mécanisme des flots, des flots naissant et mourant à perte de vue. Andromède gémit sur elle-même. Elle gémit ; mais soudain elle s’avise que sa plainte fait chorus avec celle de la mer et du vent, deux êtres insociables, deux puissants compères qui ne la regardent nullement. Elle s’arrête sèchement et puis cherche autour d’elle à quoi se prendre. Elle appelle :

— Monstre !...

— Bébé ?...

— Eh ! Monstre !...

— Bébé ?...

— Que fais-tu encore là ?

Le Monstre-Dragon, accroupi à l’entrée de sa grotte, l’arrière-train à demi dans l’eau, se retourne, en faisant chatoyer son échine riche de toutes les joailleries des Golcondes sous-marines, soulève avec compassion ses paupières frangées de cartilagineuses passementeries multicolores, découvre deux grosses prunelles d’un glauque aqueux, et dit (d’une voix d’homme distingué qui a eu des malheurs) :

— Tu le vois, Bébé, je concasse et polis des galets pour ta