Page:Laforgue - Moralités légendaires.djvu/189

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Mais elle se calme tout aussitôt, et vient, rampante, s’étaler, selon sa câlinerie familière, sous le menton du Monstre, dont elle entoure le cou, le cou visqueusement violacé, de ses bras blancs. Le Monstre hausse somptueusement les épaules et, toujours bon, se met à sécréter du musc sauvage de tous les points où il sent passer ces petits bras de chair, ces petits bras de la chère enfant, qui soupire bientôt encore :

— Ô Monstre, ô Dragon, tu dis que tu m’aimes et tu ne peux rien pour moi. Tu vois que je dépéris d’ennui et tu n’y peux rien. Comme je t’aimerais si tu pouvais me guérir, faire quelque chose !…

— Ô noble Andromède, fille du roi d’Éthiopie ! le Dragon malgré lui, le pauvre monstre ne peut te répondre que par un cercle vicieux : — Je ne te guérirai que lorsque tu m’aimeras, car c’est en m ’aimant que tu me guériras.

— Toujours le même rébus fatidique ! Mais, quand je te dis que je t’aime bien !

— Je ne le sens pas plus que toi. Mais, laissons cela ; je ne suis encore qu’un pauvre monstre de Dragon, un infortuné Catoblepas.

— Si du moins tu voulais me prendre sur ton dos, et me transporter dans des pays où l’on trouve de la société. (Ah, je voudrais tant me lancer dans le monde !) Arrivés là, je te donnerai bien un vrai petit baiser pour ta peine.

— Je t’ai déjà dit que c’est impossible. Ici doivent se dénouer nos destinées.

— Oh ! dis, dis, qu’en sais-tu ?