Page:Laforgue - Moralités légendaires.djvu/20

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à coucher, près du lit, un gothique édicule en fer forgé d’où un jeu de clefs peut faire surgir deux statuettes de cire, Gerutha, mère de Hamlet, et son mari d’aujourd’hui, l’usurpateur adultère et fratricide Fengo, tous deux modelés d’un pouce plein de verve vengeresse et le cœur puérilement percé d’une aiguille, la belle avance ! Au fond de l’alcôve, un appareil à douches, hélas !

De noir vêtu, la petite épée au côté, coiffé de son sombrero de noctambule, Hamlet, accoudé à la fenêtre, regarde le Sund, le large et laborieux Sund coulant son train ordinaire de flots quelconques, attendant le vent et l’heure de batifoler magistralement avec les pauvres barques de pêcheurs (seul sentiment dont la fatalité qui pèse sur eux les laisse capables).

Après le ciel d’hier, et en attendant celui de demain, aujourd’hui gros ciel blafard, pas bien soulagé par la récente ondée, mais promettant un beau dimanche pour demain. Et c’est déjà le crépuscule, un de ces crépuscules comme les Chroniques du temps nous en rapportent avec une émotion si peu jouée, et les bruits de la ville d’Elseneur, qu’un vaste bassin sépare des domaines royaux, qui commence à disperser et noyer ses rumeurs de jour de marché vers les tavernes.

— Ah ! me la couler douce et large comme ces flots, soupire Hamlet. Ah ! de la mer aux nuées, des nuées à la mer ! et laisser faire le reste…

Et il emballe l’heureux panorama inconscient d’un geste ad hoc, et il divague ainsi :

— Ah ! que je fusse seulement poussé à m’en donner la