Page:Laforgue - Moralités légendaires.djvu/202

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— Monstre ! Monstre !... — Ô désastre ! S’il avait plongé à jamais sous l’eau, s’il était parti me laissant seule, sous prétexte queje l’ai trop tourmenté, que je lui faisais la vie impossible !...

Oh ! l’île dans le soir qui tombe lui apparaît extraordinairement, impossiblement perdue ! Elle se jette sur le sable devant sa grotte, et gémit longuement, gémit qu’elle veut se laisser mourir, qu’elle devait s’y attendre...

Quand elle se relève, le Monstre est là, dans sa vase coutumière, occupé à percer de trous une de ces conques dont il lui fait des ocarinas.

— Tiens, vous voilà, dit-elle. Je vous croyais parti.

— Je n’ai garde. Tant que je vivrai, je serai votre geôlier sans peur et sans reproche.

— Vous dites ?

— Je dis que tant que je vivrai...

— C’est bon, c’est bon ; on sait.

Silence et horizon ; l’horizon des mers est tout déblayé pour le couchant.

— Si nous jouions aux dames, soupire Andromède, visiblement énervée.

— Jouons aux dames.

Un damier de mosaïques noires et blanches est incrusté au seuil de la grotte. Mais à peine la partie est commencée qu’Andromède, visiblement énervée, la bouscule.

— C’est impossible, je perdrais ; je suis tout le temps ailleurs. Ce n’est pas ma faute. Je suis visiblement énervée.

Silence et horizon ! Après toutes les folies de cette après-