Page:Laforgue - Moralités légendaires.djvu/211

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Andromède reste là, tête basse, hébétée devant l’horizon, l’horizon magique dont elle n’a pas voulu, dont elle n’a pas pu vouloir, ô dieux qui lui avez donné ce grand cœur !

Elle va au Monstre, qui gît toujours dans son coin, inanimé, violet et flasque, pauvre, pauvre. C’était bien la peine, en vérité !..

Comme autrefois, elle vient s’étaler sous son menton, maintenant mort et qu’elle doit soulever et lui entoure le cou de ses petits bras. Il est encore tout tiède. Curieuse, de l’index elle lui soulève une paupière, la paupière découvre un globe crevé et retombe. Elle écarte les mèches de la crinière et compte les trous saignants qu’a faits la vilaine épée de diamant. Et des larmes de passé et d’avenir, des larmes de silence lui coulent. Que la vie était encore belle avec lui dans cette île ! Et tout en lui passant machinalement la main dans les cils, elle se souvient. Elle se souvient comme il lui fut un bon ami, gentleman accompli, savant industrieux, poète disert. Et son petit cœur crève en sanglots, et elle se tord sous le menton inerte du Monstre méconnu, et l’étreint par le cou, et l’adjure trop tard.

— Oh ! pauvre, pauvre Monstre ! Que ne me disais-tu tout d’avance ? Tu ne serais pas mort, là, par ce vilain héros d’opéra-comique. Et moi toute seule dans la nuit ! Nous aurions encore de beaux jours. Tu devrais bien voir que ce n’était chez moi qu’une crise passagère, cette langueur et cette curiosité fatale. Oh ! curiosité trois fois funeste ! Oh ! J’ai tué mon ami, j’ai tué mon unique ami ! Mon père nourricier, mon précepteur. De quelles lamentations pourrais-je