Page:Laforgue - Moralités légendaires.djvu/210

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plus mauvais jours, un cri qui retentit dans l’île déjà toute obscure :

— Ne me touchez pas !... — Oh ! pardon, pardon, mais en vérité tout ceci s’est fait si vite ! Je vous en prie, laissez-moi encore un peu seule errer dans ces lieux, dire un dernier adieu...

Elle se détourne pour étreindre d’un geste l’île, et sa chère falaise où la nuit descend, la nuit sérieuse, oh ! sérieuse pour la vie ! si sérieuse et insaisissable qu’Andromède s’en détourne tout aussitôt vers celui qui vient l’arracher à son passé, vers son va-tout. Et voilà qu’elle le surprend ! Il bâillait ! un élégant bâillement qu’il veut achever en sourire de grenade ouverte.

Ô nuit sur l’île du passé ! Monstre lâchement tué, Monstre sans sépulture ! Pays trop élégants de demain... Andromède n’a qu’un cri :

— Allez-vous-en ! allez-vous-en ! Vous me faites horreur ! J’aime mieux mourir seule, allez-vous-en, vous vous êtes trompé d’adresse.

— Ah ! bien, en voilà des manières ! Ma petite, sachez que mes pareils ne se font pas dire deux fois de pareils ordres. Vous n’êtes déjà pas d’une peau si soignée.

Il exécute un moulinet de son épée adamantine, se remet en selle, et file dans l’enchantement du lever de lune, sans se retourner ; on l’entend roucouler une tyrolienne ; il file comme un météore, il s’efface vers les pays élégants et faciles...

Ô nuit sur la pauvre île quotidienne !... Quel rêve !...