Page:Laforgue - Moralités légendaires.djvu/96

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Elsa se précipite : — Oh ! qu’on me passe un miroir, avant !

Un jeune homme sort de la foule et vient présenter à la condamnée un miroir de poche (et tout bas : « Oh ! m’aimerez-vous ? me suivrez-vous partout avec des yeux fous, si... » — « C’est inutile. Merci bien. »)

Et voilà qu’elle se mire et s’admire ! Et au lieu de se livrer à des élégies sur le sort de ses yeux, elle arrange sa coiffure, lisse l’arc de ses célèbres sourcils, et arrange, arrange encore ses cheveux.

(Quelle absence de sens moral !)

— Maintenant, on voudra bien me laisser faire un bout de prière vers la Lune, notre maîtresse à tous, j’espère ?

Sans attendre qu’on en délibère, Elsa s’agenouille sur le sable du rivage. Et voici que, tendant vers l’horizon tout enchanté des mers, ses petites mains aux mitaines bleues, elle se met à psalmodier :

« Bon Chevalier qui m’apparûtes dans cette nuit fatale et mémorable, chevauchant un grand cygne lumineux !

« Délaisserez-vous votre servante ? Vous le savez bien, fatal Chevalier, que mes yeux succulents sous mes sourcils célèbres et ma bouche triste sont à votre merci, et que je vous en suivrai partout avec des regards fous.

« Ah ! j’ai la chair encore tout évanouie de votre vision et (mettant la main sur son cœur) mon petit cratère m’en fait mal, et je m’en ai découvert des tas de trésors ! Car votre fantaisie, si noble, sera toute ma pudeur, savez-vous.

« Joli Chevalier, je n’ai pas encore dix-huit ans accom-