Page:Lamarck - Discours (1806).djvu/6

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sont constantes, et ne peuvent être méconnues que de ceux qui n’ont jamais observé et suivi la nature dans ses opérations.

Ainsi l’on peut assurer que ce que l’on prend pour espèce parmi les corps vivans, et que toutes les différences spécifiques qui distinguent ces productions naturelles, n’ont point de stabilité absolue, mais qu’elles jouissent seulement d’une stabilité relative ; ce qu’il importe fortement de considérer, afin de régler les limites que nous devons établir dans les déterminations de ce que nous devons appeler espèce.

On sait que des lieux différens changent de nature et de qualité, à raison de leur position, de leur composition et de leur climat ; ce que l’on apperçoit facilement en parcourant différens lieux distingués par des qualités particulières ; voilà déjà une cause de variation pour les productions naturelles qui vivent dans ces divers lieux. Mais ce qu’on ne sait pas assez, et même ce qu’en général, on se refuse à croire, c’est que chaque lieu lui-même change avec le temps d’exposition, de climat, de nature et de qualité, quoiqu’avec une lenteur si grande par rapport à notre durée que nous lui attribuons une stabilité parfaite.

Or, dans l’un et l’autre cas, ces lieux changés changent proportionnellement les circonstances relatives aux corps vivans qui les habitent, et celles-ci produisent alors d’autres influences sur ces mêmes corps.

On sent de là que s’il y a des extrêmes dans ces changemens, il y a aussi des nuances, c’est-à-dire des degrés qui sont intermédiaires, et qui remplissent l’intervalle. Conséquemment il y a aussi des nuances dans les différences qui distinguent ce que nous appelons des espèces.

En effet, comme l’on rencontre perpétuellement de pareilles nuances entre ces prétendues espèces, on se trouve forcé de descendre jusque dans les détails les plus minutieux pour trouver des distinctions ; les moindres particularités de forme, de couleur, de grandeur, et souvent même des différences seulement senties dans l’aspect de l’individu, comparé avec d’autres individus qui l’avoisinent le plus par leurs rapports, sont saisies par les naturalistes pour établir des distinctions spécifiques ; en sorte que les plus minces variétés étant données comme des espèces, nos catalogues d’espèces grossissent à l’infini, et les noms des productions de la nature les plus importantes pour nous, se trouvant pour ainsi dire ensevelis