Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 29.djvu/124

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dans la salle, les jeunes gens jouaient à des jeux moins réfléchis dans un coin de la chambre, se répandaient dans les jardins, pétrissaient la neige, dénichaient les rouges-gorges ou les fauvettes dans les rosiers, ou répétaient les rôles de petites pièces et de proverbes en action qu’ils venaient représenter, après le souper et le jeu, devant les parents et les amis.

Une jeune personne de seize ans, comme moi, fille unique d’un propriétaire aisé de nos montagnes, se distinguait de tous ces enfants par son esprit, par son instruction et par ses talents précoces. Elle s’en distinguait aussi par sa beauté plus mûre qui commençait à la rendre plus rêveuse et plus réservée que ses autres compagnes. Sa beauté, sans être d’une régularité parfaite, avait cette langueur d’expression contagieuse qui fait rêver le regard et languir aussi la pensée de celui qui contemple. Des yeux d’un bleu de pervenche, des cheveux noirs et touffus, une bouche pensive qui riait peu et qui ne s’ouvrait que pour des paroles brèves, sérieuses, pleines d’un sens supérieur à ses années ; une taille où se révélaient déjà les gracieuses inflexions de la jeunesse, une démarche lasse, un regard qui contemplait souvent, et qui se détournait quand on le surprenait comme s’il eût voulu dérober les rêveries dont il était plein : telle était cette jeune fille. Elle semblait avoir le pressentiment d’une vie courte et nuageuse comme les beaux jours d’hiver où je la connus. Elle dort depuis longtemps sous cette neige où nous imprimions nos premiers pas.

Elle s’appelait Lucy.