Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 29.djvu/125

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


VIII


Elle sortait depuis quelques mois d’un couvent de Paris où ses parents lui avaient donné une éducation supérieure à sa destinée et à sa fortune. Elle était musicienne. Elle avait une voix qui faisait pleurer. Elle dansait avec une perfection d’attitude et de pose un peu nonchalante, mais qui donnait à l’art l’abandon et la mollesse des mouvements d’une enfant : elle parlait deux langues étrangères. Elle avait rapporté de Paris des livres dont elle continuait à nourrir son esprit dans l’isolement du hameau de son père. Elle savait par cœur les poëtes ; elle adorait comme moi Ossian, dont les images lui rappelaient nos propres collines dans celles de Morven. Cette adoration commune du même poëte, cette intelligence à deux d’une même langue ignorée des autres, étaient déjà une confidence involontaire entre nous. Nous nous cherchions sans cesse ; nous nous rapprochions partout pour en parler. Avant de savoir que nous avions un attrait l’un vers l’autre, nous nous rencontrions déjà dans nos nuages, nous nous aimions déjà dans notre poëte chéri. Souvent à part du reste de la société, dans les jeux, dans les promenades, nous marchions et une longue distance en avant de sa mère et de mes sœurs, nous parlant peu, n’osant nous regarder, mais nous montrant de temps en temps de la main quelques beaux arcs-en-ciel dans les brouillards, quelques sombres vallées noyées d’une nappe de brume d’où sortait, comme un écueil ou comme un navire submergé, la flèche d’un clocher ou le faisceau de tours ruinées d’un vieux château ; ou bien encore quelque