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mée, était comme le symbole de ces quatre vies d’hommes qui luttaient entre le salut et la mort dans les ombres et dans les angoisses de cette nuit.


X


Trois heures, dont les minutes ont la durée des pensées qui les mesurent, s’écoulèrent ainsi. La lune se leva, et, comme c’est l’habitude, le vent plus furieux se leva avec elle. Si nous avions eu la moindre voile, il nous eût chavirés vingt fois. Quoique les bords très bas de la barque donnassent peu de prise à l’ouragan, il y avait des moments où il semblait déraciner notre quille des flots, et où il nous faisait tournoyer comme une feuille sèche arrachée à l’arbre.

Nous embarquions beaucoup d’eau : nous ne pouvions suffire à la vider aussi vite qu’elle nous envahissait. Il y avait des moments où nous sentions les planches s’affaisser sous nous comme un cercueil qui descend dans la fosse. Le poids de l’eau rendait la barque moins obéissante et pouvait la rendre plus lente à se relever une fois entre deux lames. Une seule seconde de retard, et tout était fini.

Le vieillard, sans pouvoir parler, nous fit signe, les larmes aux yeux, de jeter à la mer tout ce qui encombrait le fond de la barque. Les jarres d’eau, les paniers de poissons, les deux grosses voiles, l’ancre de fer, les cordages, jusqu’à ses paquets de lourdes hardes, nos capotes mêmes de grosse laine trempée d’eau, tout passa par-dessus le bord. Le pauvre nautonier regarda un moment surnager toute sa richesse. La barque se releva et