Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 29.djvu/199

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

gnettes et précipitant les pas de ses pieds nus, comme des gouttes de pluie sur la terrasse ; oui, même alors, il y avait dans l’air, dans les attitudes, dans la frénésie même de ce délire en action, quelque chose de sérieux et de triste, comme si toute joie n’eût été qu’une démence passagère, et comme si, pour saisir un éclair de bonheur, la jeunesse et la beauté même avaient besoin de s’étourdir jusqu’au vertige et de s’enivrer de mouvement jusqu’à la folie !


VIII


Plus souvent nous nous entretenions gravement avec nos hôtes ; nous leur faisions raconter leur vie, leurs traditions ou leurs souvenirs de famille. Chaque famille est une histoire et même un poème pour qui sait la feuilleter. Celle-ci avait aussi sa noblesse, sa richesse, son prestige dans le lointain.

L’aïeul d’Andréa était un négociant grec de l’île d’Égine. Persécuté pour sa religion par le pacha d’Athènes, il avait embarqué une nuit sa femme, ses filles, ses fils, sa fortune dans un des navires qu’il possédait pour le commerce. Il s’était réfugié à Procida où il avait des correspondants et où la population était grecque comme lui. Il y avait acheté de grands biens dont il ne restait plus de vestiges que la petite métairie où nous étions, et le nom des ancêtres gravé sur quelques tombeaux dans le cimetière de la ville. Les filles étaient mortes religieuses dans le monastère de l’île. Les fils avaient perdu toute la fortune dans les tempêtes qui avaient englouti leurs navires. La famille était tombée en déca-