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épreuves de la vie ? J’y ai passé deux fois, moi, et je n’y pense jamais sans un frisson.

La mort vous a enlevé par une surprise, et en votre absence, un des êtres dans lequel vous viviez le plus vous-même, une mère, un enfant, une femme adorée. Rappelé par la fatale nouvelle, vous arrivez avant que la terre ait reçu le dépôt sacré de ce corps à jamais endormi. Vous franchissez le seuil, vous montez l’escalier, vous entrez dans la chambre, on vous laisse seul avec Dieu et la mort. Vous tombez à genoux auprès du lit, vous restez des heures entières les bras étendus, le visage collé contre les rideaux de la couche funèbre. Vous vous relevez enfin, vous faites ça et la quelques pas dans la chambre. Vous vous approchez, vous vous éloignez tour à tour de ce lit où un drap blanc, affaissé sur un corps immobile, dessine les formes de l’être que vous ne reverrez plus jamais. Un doute horrible vous saisit : je puis soulever le linceul, je puis voir encore une fois le visage adoré. Faut-il le revoir tel que la mort l’a fait ? Faut-il baiser ce front à travers la toile et ne revoir jamais ce visage disparu que dans sa mémoire et avec la couleur, le regard et la physionomie que la vie lui donnait ? Lequel vaut mieux pour la consolation de celui qui survit, pour le culte de celui qui est mort ? Problème douloureux ! Je conçois trop qu’on se le pose et qu’on le résolve différemment. Quant à moi, je me le suis posé, mais l’instinct a toujours prévalu sur le raisonnement. J’ai voulu revoir, j’ai revu ! Et la tendre piété du souvenir que je voulais imprimer en moi n’en a point été altérée : la mémoire du visage animé et vivant, se confondant dans ma pensée avec la mémoire du visage immobile et connue sculpté en marbre par la mort, a laissé pour mon âme sur ces visages pétrifiés dans ma tendresse