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de romarin, alors elle oubliait tout, elle se mettait à rire et à causer comme autrefois. Seulement elle semblait triste après avoir ri et badiné avec moi.

Je lui disais quelquefois : « Graziella, qu’est-ce que tu regardes donc ainsi là-bas, là-bas au bout de la mer pendant des heures entières ? Est-ce que tu y vois quelque chose que nous n’y voyons pas, nous ? — J’y vois la France derrière des montagnes de glace, me répondit-elle. — Et qu’est-ce que tu vois donc de si beau en France ? ajoutais-je. — J’y vois quelqu’un qui te ressemble, répliquait-elle, quelqu’un qui marche, marche, marche, sur une longue route blanche qui ne finit pas. Il marche sans se retourner, toujours, toujours devant lui, et j’attends des heures entières, espérant toujours qu’il se retournera pour revenir sur ses pas. Mais il ne se retourne pas ! » Et puis elle se mettait le visage dans son tablier et j’avais beau l’appeler des noms les plus caressants, elle ne relevait plus son beau front.

Je rentrais alors bien triste moi-même dans ma chambre. J’essayais de lire pour me distraire, mais je voyais toujours sa figure entre mes yeux et la page. Il me semblait que les mots prenaient une voix et qu’ils soupiraient comme nos cœurs. Je finissais souvent aussi par pleurer tout seul, mais j’avais honte de ma mélancolie et je ne disais jamais à Graziella que j’avais pleuré. J’avais bien tort, une larme de moi lui aurait fait tant de bien !


XXIX


Je me souviens de la scène qui lui fit le plus de peine au cœur et dont elle ne se remit jamais complètement.