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d’elle. On aurait dit que nous étions deux coupables, et nous n’étions que deux enfants trop heureux.

Et cependant depuis quelque temps un fond de tristesse se cachait ou se révélait sous ce bonheur. Nous ne savions pas bien pourquoi. Mais la destinée le savait, elle. C’était le sentiment de la brièveté du temps qui nous restait à passer ensemble.


XXVIII


Souvent Graziella, au lieu de reprendre joyeusement son ouvrage après avoir habillé et peigné ses petits frères, restait assise au pied du mur d’appui de la terrasse, à l’ombre des grosses feuilles d’un figuier qui montait d’en bas jusque sur le bord du mur. Elle demeurait là immobile, le regard perdu, pendant des demi-journées entières. Quand sa grand-mère lui demandait si elle était malade, elle répondait qu’elle n’avait aucun mal, mais qu’elle était lasse avant d’avoir travaillé. Elle n’aimait pas qu’on l’interrogeât alors. Elle détournait le visage de tout le monde, excepté de moi. Mais moi, elle me regardait longtemps sans me rien dire. Quelquefois ses lèvres remuaient comme si elle avait parlé, mais elle balbutiait des mots que personne n’entendait. On voyait de petits frissons, tantôt blancs, tantôt roses, courir sur la peau de ses joues et la rider comme la nappe d’eau dormante touchée par le premier pressentiment des vents du matin. Mais, quand je m’asseyais à côté d’elle, que je lui prenais la main, que je chatouillais légèrement les longs cils de ses yeux fermés avec l’aile de ma plume ou avec l’extrémité d’une tige