Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 29.djvu/368

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sés d’avance contre le comte et tous les membres majeurs de sa famille, même contre les femmes. Il fallut se constituer prisonniers. Le vieux seigneur, son frère, son fils, ses hôtes, ses domestiques et ses trois filles aînées furent jetés sur des charrettes pour être conduits dans les prisons de Lyon. Les armoiries, les armes et les deux canons enlacés de branches de chêne, suivaient comme des trophées la charrette des prisonniers. De toute cette maison, libre et tranquille la veille, il ne manquait à la captivité que l’hôte habituel et la plus jeune des filles du château.

Éveillé dans sa tour par le bruit des armes et par le piétinement des chevaux dans la première cour, le jeune homme s’était hâté de se vêtir, de s’armer et de descendre dans la salle d’armes pour disputer chèrement sa vie en défendant celle de ses hôtes et de ses amis. Il était trop tard. Toutes les portes du château étaient occupées par des gardes nationaux. Le commandant de la colonne était déjà, avec les gendarmes, dans la chambre du comte, occupé à poser les scellés sur ses papiers. Le jeune homme rencontra sur l’escalier les jeunes filles qui descendaient et peine vêtues pour rejoindre leur père et pour s’associer à son sort. « Sauvez notre sœur, lui dirent à la hâte les trois plus âgées ; nous, nous voulons suivre notre père et nos fiancés partout, dans les cachots ou à la mort ; mais elle, elle est une enfant, elle n’a pas le droit de disposer de sa vie ; dérobez-la aux scélérats qui gardent les portes. Voilà de l’or ! Vous la trouverez dans notre chambre, où nous l’avons vêtue de ses habits d’homme. Vous connaissez les passages secrets. Dieu veillera sur vous. Vous la conduirez dans les Cévennes, chez notre vieille tante, seule parente qui lui reste au monde ; elle la recevra comme une autre mère. Adieu. »