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allongeait à son insu la route, il recherchait les rencontres, il prolongeait les entretiens. J’entendais murmurer aux fenêtres : « Voilà le chevalier de Lamartine qui passe avec son fils ; venez voir ! » Quant à moi, je supportais ces regards et ces saluts par respect pour mon père, mais je brûlais d’y échapper et d’arriver enfin à la maison.


VI


Nous y arrivâmes enfin ; le chien était allé nous annoncer par ses bonds et ses hurlements de joie ; en passant le seuil, je me trouvai enlacé dans les bras de ma mère et de mes sœurs. Ma mère ne put s’empêcher de pâlir et de frissonner visiblement en voyant combien ma longue absence et mes secrètes angoisses avaient amaigri et fléchi mes traits. Mon père n’avait vu que les belles formes développées de mon adolescence ; ma mère, d’un coup d’œil, avait vu les impressions. L’œil des femmes est divinatoire ; il va droit au fond de l’âme de celui qu’elles regardent, ne fût-ce qu’en passant. Qu’est-ce donc quand celui qu’elles regardent est un fils, un rayon de leur âme ?


VII


Un changement s’était opéré pendant mes absences dans les habitudes de la vie de famille. Mon père, sollicité en cela par notre mère, avait acheté sur ses longues et pénibles économies une maison de ville à Mâcon,