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pour y passer la moitié de l’année. L’âge était venu, pour mes sœurs, de recevoir les leçons de ces maîtres et maîtresses d’art d’agrément, luxe d’éducation nécessaire aux femmes d’une certaine aisance, dont la vie ne serait sans cela, qu’une fastidieuse oisiveté. Le moment était venu aussi de les produire dans ce qu’on appelle le monde, espèce d’expropriation réciproque, où les nouvelles venues dans la vie regardent et sont regardées, jusqu’à ce que les parentés, les relations de famille, les habitudes de société, les convenances de voisinage et de fortune ou l’inclination déterminent les mariages.

Belles, modestes, mais ne pouvant attirer de bien loin des maris par la modicité de leurs dots, ma mère présumait justement que les jeunes hommes de leur rang ne viendraient pas les découvrir dans la solitude de Milly. Elle ne voulait pas les exposer à fleurir et à s’y flétrir par sa faute sans avoir répandu leur chaste éclat de beauté dans les yeux de quelqu’un. Elle regardait comme un devoir obligatoire de la mère de famille de chercher des occasions d’unions assorties pour ses filles. Les enfanter à la vie, à la religion, à la vertu, pour elle ce n’était pas assez ; elle voulait les enfanter aussi au bonheur.

Mon père avait compris ces raisons, et, bien qu’à regret et par des efforts surhumains d’économie domestique, il s’était décidé à quitter ses vignes, ses chiens de chasse, sa partie de piquet, le soir, avec le curé et le voisin, et à s’établir à Mâcon, au moins pour l’hiver et le printemps de chaque année.

Il était, comme tout nouveau possesseur, fier et amoureux de la maison qu’il avait achetée. A peine étais-je entré, qu’il me la montra de la cave au grenier, en m’en détaillant tous les agréments et tous les avantages.