Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 29.djvu/439

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mais à fructifier, à enfanter et à couver de riches générations ici-bas.

La seconde s’appelait Eugénie. Elle avait un an de moins ; elle se collait contre sa sœur aînée comme si sa taille, alors frêle et svelte, avait eu besoin d’un appui pour se soutenir contre le vent de la porte ou contre le souffle de cette multitude. C’était une nature entièrement différente, une apparition d’Ossian dans la splendeur du midi, une ombre animée, une forme impalpable, des yeux bleus, larges et profonds comme une eau de mer, d’où le regard semblait remonter de loin comme d’un mystère ou d’un songe ; un ovale de visage écossais, des traits d’une délicatesse fugitive et d’une perfection de lignes idéale, la bouche pensive, les lèvres minces, l’expression grave, les cheveux blonds roulant en longs écheveaux glacés d’un vernis éblouissant sur les deux joues ; une figure norvégienne enfin. Sa nature d’âme et d’esprit correspondait entièrement à ses traits. Plus avancée que ses aînées, apte à tous les arts ; pâlissant au récit d’un héroïsme, à la lecture d’un beau vers, au son d’une corde de harpe ; sensible jusqu’à la souffrance poétique, musicale, littéraire ; enfermée en elle-même et vivant avec les mondes de son imagination ; moins goûtée de la foule, plus épiée et plus découverte, comme les fleurs de l’ombre, par les regards curieux et passionnés, elle devait charmer les hommes du Nord ; et ce fut plus tard en effet sa destinée. Elle se rapprochait, à cette époque, bien plus de moi que ses autres sœurs, par le développement précoce de son intelligence, par la poésie et la mélancolie de son caractère. Nous étions deux reflets d’une même teinte, qui se rencontraient, l’un chaud et viril sur mon front, l’autre froid, féminin et virginal sur le sien. Elle était très-regardée, mais non