Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 29.djvu/45

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

plus de lune, une grosse corde attachée au fil glissa du toit de ma mère dans la main du détenu. Fortement attachée d’un côté dans le grenier de notre maison à une poutre, mon père la noua de l’autre à un des barreaux de sa fenêtre. Il s’y suspendit par les mains et par les pieds, et, se glissant de nœuds en nœuds au-dessus de la tête des sentinelles, il franchit la rue et se trouva dans les bras de sa femme et auprès du berceau de son enfant.

Ainsi échappé de la prison, il était maître de n’y pas rentrer mais condamné alors par contumace ou comme émigré, il aurait ruiné sa femme et perdu sa famille ; il n’y songea pas. Il réserva, comme dernier moyen de salut, la possibilité de cette évasion pour la veille du jour où l’on viendrait l’appeler au tribunal révolutionnaire ou à la mort. Il avait la certitude d’en être averti par le geôlier. C’est le seul service qu’il lui eût demandé.


VI


Quelles nuits que ces nuits furtives passées à retenir les heures dans le sein de tout ce qu’on aime ! à quelques pas, des sentinelles, des barreaux, des cachots et la mort ! Ils ne comptaient pas, comme Roméo et Juliette, les pas des astres dans la nuit par le chant du rossignol et par celui de l’alouette, mais par le bruit des rondes qui passaient sous les fenêtres et par le nombre de factionnaires relevés. Avant que le firmament blanchît, il fallut franchir de nouveau la rue et rentrer muet dans sa loge grillée. La corde fut dénouée, retirée lentement par ma mère, et cachée, pour d’autres nuits pareilles, sous des