Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 29.djvu/46

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matelas, dans un coin du grenier. Les deux amants eurent de temps en temps des entrevues semblables, mais il fallait les ménager avec prudence et les préparer avec soin ; car, indépendamment du danger de tomber dans la rue ou d’être découvert par les surveillants, ma mère n’était pas sûre de la fidélité d’une des femmes qui la servaient, et dont un mot eût conduit mon père a la mort.

C’était le temps où les proconsuls de la Convention se partageaient les provinces de la France et y exerçaient, au nom du salut public, un pouvoir absolu et souvent sanguinaire. La fortune, la vie ou la mort des familles étaient dans un mot de la bouche de ces représentants, dans un attendrissement de leur âme, dans une signature de leur main. Ma mère, qui sentait la hache suspendue sur la tête du mari qu’elle adorait, avait eu plusieurs fois l’inspiration d’aller se jeter aux pieds de ces envoyés de la Convention, de leur demander la liberté de mon père. Sa jeunesse, sa beauté, son isolement, l’enfant qu’elle portait la mamelle, les conseils mêmes de mon père l’avaient jusqu’alors retenue. Mais les instances du restes de la famille, enfermée dans les cachots d’Autun, vinrent lui demander impérieusement des démarches de suppliante qui ne coûtaient pas moins à sa fierté qu’à ses opinions. Elle obtint des autorités révolutionnaires de Mâcon un passe-port pour Lyon et pour Dijon. Combien de fois ne m’a-t-elle pas raconté ses répugnances, ses découragements, ses terreurs, quand il fallait, après des démarches sans nombre et des sollicitations repoussées avec rudesse, paraître enfin toute tremblante en présence d’un représentant du peuple en mission ! Quelquefois c’était un homme grossier et brutal, qui refusait même d’écouter cette femme en larmes et qui la congédiait avec