Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 29.djvu/47

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des menaces, comme coupable de vouloir attendrir la justice de la nation. Quelquefois c’était un homme sensible, que l’aspect d’une tendresse si profonde et d’un désespoir si touchant inclinait malgré lui à la pitié, mais que la présence de ses collègues endurcissait en apparence, et qui refusait des lèvres ce qu’il accordait du cœur. Le représentant Javogues fut celui de tous ces proconsuls qui laissa à ma mère la meilleure impression de son caractère. Introduite à Dijon, à son audience, il lui parla avec bonté et avec respect. Elle m’avait porté dans ses bras jusque dans le salon du représentant, afin que la pitié eût deux visages pour l’attendrir, celui d’une jeune mère et celui d’un enfant innocent. Javogues la fit asseoir, se plaignit de sa mission de rigueur, que ses fonctions et le salut de la république lui imposaient. Il me prit sur ses genoux, et comme ma mère faisait un geste d’effroi dans la crainte qu’il ne me laissât tomber : « Ne crains rien, citoyenne, lui dit-il, les républicains ont aussi des fils. » Et comme je jouais en souriant avec les bouts de son écharpe tricolore : « Ton enfant est bien beau, ajouta-t-il, pour un fils d’aristocrate. Élève-le pour la patrie et fais-en un citoyen. » Il lui donna quelques paroles d’intérêt pour mon père et quelques espérances de liberté prochaine. Peut-être est-ce à lui qu’il dut d’être oublié dans la prison ; car un ordre de jugement à cette époque était un arrêt de supplice.

Revenue à Mâcon et rentrée dans sa maison, ma mère vécut emprisonnée elle-même dans son étroite demeure, en face des Ursulines. De temps en temps, quand la nuit était bien sombre, la lune absente et les réverbères éteints par le vent d’hiver, la corde a nœuds glissait d’une fenêtre à l’autre, et mon père venait passer des heures inquiètes et délicieuses auprès de tout ce qu’il aimait.