Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 29.djvu/470

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échangeaient à voix basse quelques mots auprès de la cheminée, et des jeunes personnes assises en silence derrière leurs mères, qui chuchotaient entre elles, comme à l’église ou au couvent. Un silence austère et religieux s’établissait dans tous les salons pendant ces whists ou ces reversis sempiternels. Le jeu, tout modéré qu’il était, courbait toutes ces têtes, passionnait tous ces esprits d’hommes et de femmes dans un recueillement presque grotesque, qui ne se déinentait que par des demi-mots, des expressions de visage et des gestes tour à tour rayonnants ou désespérés. Il s’agissait de cinq sous par fiche, quelquefois moins ; mais l’homme est un être tellement passionné, qu’il met de la passion aux puérilités quand il ne peut pas en mettre aux grandes choses. D’ailleurs, le jeu des soirées dans ces salons était une habitude d’ancien régime à laquelle on tenait par respect pour les traditions d’un autre temps. Le jeu avait tout le sérieux d’un devoir de bonne compagnie, qu’il fallait accomplir ou se déclarer homme mal élevé, femme inutile ; les cérémonies religieuses du matin, à l’églíse, n’étaient pas imposées ni suivies avec plus de solennité. On était méprisé si on le négligeait, estimé et recherché si on y excellait. Je me souviens de cinq ou six hommes de la dernière médiocrité dont on ne parlait qu’en inclinant la tête, parce que, disait-on avec plus de respect qu’on n’en aurait eu pour un grand artiste, ils jouaient supérieurement le boston et le reversis. On vivait et on mourait très-bien sur cette réputation. Ma mère et mes tantes m’encouragèrent de leur mieux à la mériter, à me rendre utile et agréable aux maîtresses de maison en faisant le quatrième de quelque table boiteuse de joueuses et de joueurs dépareillés ; elles échouèrent. Quoique très-complaisant de mon naturel, je ne pus