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autrefois la petite chambre, le petit jardin et le petit laboratoire ; diversion obligée de l’homme qui a besoin, sous peine d’ennui mortel, de travailler ou de corps, ou d’esprit, ou des deux tour à tour ; c’est sa loi.

Le chevalier de Sennecey, pour vivre à Londres pendant une longue émigration de douze ans, avait appris l’état de bijoutier et d’horloger. Il y avait ajouté l’état de tourneur, afin de faire lui-même les boîtes, les tabatières, les écrins, les étuis des portraits qu’il montait, des montres qu’il fabriquait. Il était adroit et patient comme un homme qui, ayant perdu la faculté de se servir de tous ses membres, concentre dans ceux qui lui restent tout ce qu’il a d’activité et d’énergie. Son travail l’avait largement soutenu à Londres, et il avait même soutenu, du seul travail de ses mains, plusieurs de ses compagnons d’infortune doués de moins de talent et de bonheur que lui.

Depuis qu’il était rentré en France, rappelé par cet attrait irréfléchi du pays qui devient malaise chez le Français, et qui ne lui permet presque jamais de jouir de son bien-être sous un autre ciel, le chevalier de Sennecey avait continué son état. Mais il l’exerçait gratuitement pour les sœurs de l’hôpital, pour les malades, pour ses amis et ses connaissances dans la ville, qui empruntaient ses talents d’horloger ou de bijoutier. Il passait sa journée entière à démonter, à remonter des pendules, des montres, à encadrer des miniatures, à tourner en métal ou en ivoire des ornements ou des parures de femme. Il prenait son métier au sérieux, bien que ce métier ne fût plus pour lui qu’un divertissement ; il allégeait sa solitude. De temps en temps, un vieux camarade d’émigration ou de régiment venait charitablement passer une heure avec lui, pour causer de l’armée de Condé, du