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comte d’Artois, du duc d’Enghien, ou du prince régent d’Angleterre, la providence des émigrés.

L’attrait que j’éprouvais pour cet excellent homme, le sentiment des heures de distraction que ma présence et ma conversation lui donnaient, et enfin le désœuvrement qui met les pas de demain sur ceux d’hier, me ramenaient régulièrement tous les jours à l’hôpital. A force de voir limer la lime, serrer l’écrou, tourner le tour, pivoter le poinçon, grincer la scie d’acier, je voulus travailler aussi moi-même. Le chevalier m’enseigna l’horlogerie et le tour. Je maniais ses outils sous sa direction, je préparais, je dégrossissais le bois ou le cuivre ; il y donnait le dernier fini. Nos conversations, bientôt taries une fois qu’il m’eut dévidé l’écheveau de ses souvenirs un peu monotones, se soutenaient ainsi à peu de frais, grâce à notre commune occupation. On n’entendait dans sa chambre que le bruit uniforme de la corde à boyau qui sifflait sur la poulie du tour, le frottement de la râpe ou du polissoir sur le bois, les coups réguliers du petit marteau d’acier sur l’or ou sur l’argent concave des boîtes de montres, quelques mots rares et courts échangés entre nous, ou le chant à demi-voix de l’homme qui distrait son oreille en se servant de ses mains. Notre atelier, au midi, éclairé d’une large fenêtre à balcon, était inondé de lumière et retentissait d’un murmure de vie. Ce travail, ce murmure, cette lumière, cette monotonie occupée, ce pauvre infirme soulageant ses maux et abrégeant ainsi sa journée par la fatigue, m’apaisaient et m’assoupissaient à moi-même mon propre ennui. J’avais fini par prendre une véritable amitié pour le chevalier. Il était devenu une des heures de ma journée..l’y dînais quelquefois, comme le compagnon avec le maître. Ces dîners, servis à l’heure du repas de l’hospice et tirés de la mar-