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mite commune, consistaient toujours et uniquement en deux rations de bœuf bouilli, sec et maigre, coupées carrément en deux petites tranches, comme celle de l’ordinaire du soldat ; des fruits secs et une bouteille de vin de l’hôpital complétaient le repas. Nous nous remettions à l’ouvrage aussitôt après. Quand le jour baissait, nous rangions avec soin l’établi, les outils dans les tiroirs ; je balayais les copeaux de bois ou les limailles de fer qui jonchaient le plancher, et nous causions un moment. Tout l’esprit du chevalier était dans son cœur. Excepté des sentiments et des aventures, il n’y avait rien à en tirer. Mais c’est avec cela qu’on fait les épopées. Tout homme simple est un poëme pour qui sait le feuilleter. L’intérêt est dans celui qui écoute, bien plus que dans celui qui raconte. Il ne m’ennuyait jamais.

Qu’on se figure cependant, un jeune homme de vingt ans, ayant déjà goûté des calices, épuisé des ivresses et des larmes de la vie, fermentant d’imagination, consumé de passions ou à peine écloses ou mal éteintes, dévorant le monde par la pensée, et réduit pour toute occupation de ses journées à tailler des morceaux de bois et à limer des morceaux de métal dans l’atelier d’un vieil invalide, sans autre charme d’esprit que son malheur et sa bonté !


XXXVIII


J’avais un autre ami cependant que je ne pourrai jamais oublier, tant il m’aimait et tant il descendait avec indulgence et avec grâce du haut de ses années pour se placer au niveau de ma jeunesse.

C’était un vieillard beaucoup plus âgé que le cheva-