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DES ESCLAVES.

un pied sur le sol français ; la liberté, la civilisation pacifique, s’écrouleraient une seconde fois dans des flots de sang, si nous nous séparions. Nous ne nous séparerons pas ; cette réunion en est le garant.

Quand les mêmes pensées se communiquent, se pénètrent ainsi à travers les langues, les intérêts, les distances ; quand les âmes de deux grands peuples sont d’intelligence par l’élite de leurs citoyens, et commencent à comprendre la mission de liberté, de civilisation, de développement que la Providence leur assigne en commun ; quand cette intelligence, cette harmonie, cet accord, reposent sur la base de principes éternels aussi hauts que Dieu qui les inspire, aussi impérissables que la nature, ces peuples échappent, par la hauteur de leurs instincts, par l’énergie de leur attraction, aux dissidences qui voudraient en vain les désunir. Leur amitié, leur sympathie, se rejoignent dans une sphère de pensées et de sentiments où les dissentiments politiques ne sauraient les atteindre ; et c’est le cas de leur appliquer ce mot sublime de l’Évangile, devenu le mot de la liberté : « Ce que Dieu a uni, les hommes ne le séparerons pas. »

Eh ! quoi donc ! les idées ne sont-elles pas le premier des intérêts ?

Quand Washington et La Fayette, quand Bailly et Franklin se firent un signe à travers l’Atlantique, l’indépendance de l’Amérique, quoique contestée par les cabinets, fut reconnue d’avance par les nations. Quand les esprits libéraux de l’Angleterre et de la France se tendirent la main, malgré Napoléon et la coalition, c’était en vain que les flottes et les armées combattaient encore ; les nations étaient réconciliées. Les plénipotentiaires des peuples, ce sont leurs grands hommes ; les vraies alliances, ce sont les idées. Les intérêts ont une patrie ; les idées n’en ont point ! Et si quelque chose peut consoler les hommes politiques d’avoir à toucher si souvent à ces intérêts fugitifs, précaires, qui passent avec le jour et emportent avec lui les passions mobiles qui nous y attachent, c’est de toucher de temps en temps à ces idées impérissables qui sont aux vifs intérêts d’ici-bas ce que les monnaies qui servent aux vils trafics du jour sont à ces médailles que les générations transmettent aux générations, marquées au coin de Dieu et de l’éternité.


IV

banquet donné à paris pour l’abolition de l’esclavage — 10 mars 1842.

Messieurs,

En écoutant les pieuses et ardentes paroles de monsieur Scroble, ces paroles pénétrées de la chaleur d’un zèle tellement divin, qu’elles se faisaient