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DE L’ÉMANCIPATION

jour jusqu’à vos cœurs à travers la diversité des langues ; en applaudissant comme vous à ces appels au sentiment de la liberté pour tous, caractère national de la France depuis qu’elle a conquis, il y a un demi siècle, la liberté pour elle-même ; et ces invocations à l’extension de l’influence française par tout l’univers, pour que cette influence se sanctifiât par l’abolition universelle du honteux commerce des esclaves : j’éprouvais à la fois un double sentiment, un sentiment de joie, un sentiment de tristesse ; oui, je me réjouissais en moi-même de voir ici réunis et fraternisant des hommes de langues, de patries, d’origines, d’opinions diverses, qui, poussés par le seul désir du bien, ont quitté leur maison et leur pays, ont traversé la mer pour venir combiner leurs efforts en faveur d’une cause qui ne touche ni eux, ni leur famille, ni leurs enfants, ni même leurs concitoyens, et se consacrer à la régénération d’une race d’hommes qu’ils ne connaissent pas, qu’ils n’ont jamais vus, qu’ils ne verront jamais, dont les bénédictions les suivront sans doute un jour dans le ciel, mais dont la reconnaissance ne les atteindra jamais ici-bas ! C’est là du désintéressement, dans ce siècle qu’on accuse d’égoïsme, mais c’est un désintéressement commandé par l’amour des hommes et payé par Dieu.

Et, en même temps, messieurs, je ne pouvais que m’attrister en pensant que ces sublimes manifestations de la charité pour le genre humain qui nous réchauffaient ici de toute leur foi, et d’une foi si vraie, si éloquente dans la bouche de monsieur Scroble et de ses associés, ne retentissaient pas hors de cette enceinte ; mais, qu’au contraire, vous ne seriez pas encore sortis de cette réunion, ces paroles que vous entendez ne seraient pas encore refroidies dans vos cœurs, que déjà les interpellations malveillantes, les insinuations odieuses, les clameurs intéressées s’empareraient de l’acte, des hommes, des discours, et jetteraient sur tout cela les fausses couleurs, les travestissements et le ridicule, ce premier supplice de toute vérité ; il faut s’y attendre et il faut les braver. La vérité sociale, religieuse, politique, serait facile à suivre et trop belle à embrasser, s’il n’y avait pas entre elle et nous la main intéressée de la routine et les pointes acérées de la calomnie !

Que dira-t-on de nous, messieurs ? Deux choses : Qu’en poussant les esprits à la solution de la question de l’esclavage dans nos colonies nous sommes des révolutionnaires, et qu’en voulant les efforts combinés de tous les peuples civilisés pour l’abolition de la traite nous ne sommes plus assez patriotes. Répondons.

Nous sommes des révolutionnaires ; vous voyez comment ! Vous venez d’entendre ces paroles prudentes, mesurées, irréprochables, de l’orateur auquel je réponds, vous avez entendu ce matin celles de monsieur le duc de Broglie, de monsieur Passy, de monsieur Barrot, ces paroles qui tomberaient d’ici entre le maître et l’esclave sans faire rejaillir de leur cœur autre chose que la justice, la miséricorde et la résignation ; nos réunions n’en