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RAPHAËL

pour la reconduire à Paris au commencement de l’hiver.

Voila tout ce que j’appris alors de cette existence déjà si chère dont je m’obstinais à croire que chaque détail m’était profondément indifférent. J’éprouvai un peu plus d’émotion de cœur pour cette femme touchée, dans sa fleur, par un mal qui ne consume la vie qu’en aiguisant les sensations et qu’en activant davantage la flamme qu’il menace d’éteindre. Je cherchai du regard, en rencontrant l’étrangère sur l’escalier, quelques lignes imperceptibles de souffrance aux coins de ses lèvres un peu pâlies, et autour de ses beaux yeux bleus souvent battus par les insomnies. Je m’intéressai à elle pour ses charmes ; je m’intéressai davantage pour cette ombre de mort à travers laquelle je ne croyais que l’entrevoir. Ce fut tout. Nos vies continuèrent a couler aussi rapprochées par l’espace, mais aussi séparées par l’inconnu qu’au commencement.

XVII

Les premières neiges commençant à blanchir les têtes des sapins sur les hauts sommets de la Savoie, j’avais renoncé à mes courses dans les montagnes. La chaleur douce et prolongée de la fin d’octobre s’était concentrée dans le creux de la vallée. L’air était tiède encore sur les bords et sur les eaux du lac. La longue allée de peupliers qui y mène avait, à midi, des lueurs de soleil, des balancements de rameaux et des murmures de cimes qui m’enchantaient. Je passais une partie de mes journées sur l’eau. Les bateliers me connaissaient : ils se souviennent encore, me dit-on, des longues navigations que je leur faisais faire dans les golfes les plus écartés et dans les anses les plus sauvages des deux rives de France et de Savoie.