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RAPHAËL

La jeune étrangère s’embarquait aussi quelquefois, au milieu du jour, pour des courses moins prolongées. Les bateliers, fiers de la conduire et attentifs aux moindres symptômes de fraîcheur, de nuages ou de vent qui pouvaient apparaître dans le ciel, avaient bien soin de la prévenir ; ils préféraient sa santé et sa vie au salaire de leurs journées perdues.

Une seule fois ils se trompèrent. Ils lui avaient promis une traversée et un retour faciles pour aller visiter les ruines de l’abbaye de Haute-Combe, située sur le bord opposé. Ils avaient a peine franchi les deux tiers de leur route, qu’une rafale de vent, sortant des gorges étroites de la vallée du Rhône, vint soulever et faire écumer les lames courtes du lac, comme une brise que les marins appellent carabinée, qui frappe tout à coup et fait souvent chavirer les embarcations, au tournant d’un cap, sur la mer. Le petit bateau, sa voile emportée, et soutenu difficilement par le balancier des deux rames étendues du batelier, dansait comme une coquille de noix sur les vagues toujours grossissantes. Le retour était impossible ; il fallait plus d’une demi-heure de fatigue et de danger avant d’être à l’abri sous l’ombre des hautes falaises de Haute-Combe. Le sort ou la Providence qui dirigeait ce jour-là ma voile sur le lac m’avait fait embarquer moi-même sur un bateau plus fort armé de quatre vigoureux rameurs. J’allais visiter, dans une île au fond du lac, un parent de mon ami de Chambéry, nommé M. de Châtillon. Il avait son château sur un roc, au sommet de cette île. Nous n’étions plus qu’à quelques coups de rames du port de Châtillon, quand mes yeux, qui suivaient machinalement dans le lointain le bateau de la jeune malade, s’aperçurent de sa détresse et de la lutte que son embarcation soutenait contre le coup de vent. Nous virâmes de bord, mes rameurs et moi, d’un cœur unanime. Nous nous jetâmes en