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RAPHAËL

vais me réunir !… Aimez encore après moi… Dieu vous enverra une autre sœur qui sera, de plus, une sainte compagne de votre vie… Je le lui demanderai moi-même… Ne craignez pas d’affliger mon âme, Raphaël !… Moi, jalouse au ciel de votre bonheur ? Oh ! non !… Je me sens mieux après vous avoir dit cela. Alain vous remettra ces pensées et une mèche de mes cheveux. Je vais dormir !… »

Une autre enfin, presque illisible, ne contenait que ces lignes toutes brisées :

« Raphaël ! Raphaël ! où êtes-vous ? Je me suis senti assez de force pour sortir de mon lit… J’ai dit à la femme qui me veille que je voulais reposer seule. Je me suis traînée, à la lueur de la lampe, de meuble en meuble jusqu’à la table où j’écris… mais je n’y vois plus… mes yeux nagent dans la nuit… je vois flotter des taches noires sur le papier… Raphaël l je ne puis plus écrire… Oh ! du moins encore ce mot !… »

Puis il y avait en gros caractères, comme ceux d’un enfant qui essaye pour la première fois la plume, ces deux mots qui tiennent toute la ligne et qui remplissent tout le bas de la page : « Raphaël ! Adieu ! »

CXLIII

C’est une chose étrange et heureuse pour la nature humaine que l’espèce d’impossibilité de croire tout de suite à la disparition complète d’un être qu’on a tant aimé. Entouré des témoignages de sa mort épars autour de moi, je ne pouvais pas encore me croire à jamais séparé d’elle. Sa pensée, son image, ses traits, le son de sa voix, le génie particulier de ses paroles, le charme de son visage, m’étaient si présents, qu’il me semblait qu’elle était là plus