Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 32.djvu/383

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
382
RAPHAËL

que jamais, qu’elle m’enveloppait, qu’elle m’entretenait, qu’elle m’appelait par mon nom, et qu’en me levant j’allais la rejoindre et la revoir. C’est une distance que Dieu met entre la certitude de la perte et le sentiment de la réalité ; comme les sens en mettent une eux-mêmes entre la hache que l’œil voit tomber sur le tronc de l’arbre, et le coup que l’oreille entend retentir longtemps après. Cette distance amortit ainsi l’excès de la douleur en la trompant. Quand on vient de perdre ce qu’on aime, on ne l’a pas tout à fait perdu : on vit quelque temps de cette existence qui se prolonge en nous. On éprouve quelque chose de comparable à ce que l’œil éprouve quand il a regardé longtemps le soleil couchant. Bien que l’astre ait disparu de l’horizon, ses rayons ne sont pas couchés dans nos yeux ; ils rayonnent encore dans notre âme. Ce n’est que peu à peu et à mesure que les impressions s’éteignent et se précisent en se refroidissant, qu’on arrive à la séparation sentie et complète, et qu’on peut se dire : « Elle est morte en moi ! »

Car la mort, ce n’est pas la mort : c’est l’oubli !

CXLIV

Je sentis ce phénomène de la douleur en moi, pendant cette nuit, dans toute sa force. Dieu ne voulut pas me faire boire ma douleur d’un seul trait, de peur d’y noyer toute mon âme. Il me donna et il me laissa longtemps l’illusion et la conviction de la présence en moi, autour de moi et devant moi, de l’être qu’il ne m’avait montré qu’une saison, pour tourner sans doute, pendant toute ma vie, mes yeux et ma pensée vers le séjour où il l’avait rappelé.

Quand la chandelle du pauvre batelier fut éteinte, je ser-