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HOMÈRE.

en morceaux par les barbares, et qu’on m’en rapportât un à un les membres mutilés et exhumés, s’adaptant parfaitement les uns aux autres, et portant tous l’empreinte du même ciseau, depuis l’orteil jusqu’à la boucle de cheveux, dirais-je, en contemplant tous ces fragments d’incomparable beauté : « Cette statue n’est pas d’un seul Phidias, elle est l’œuvre de mille ouvriers inconnus qui se sont rencontrés par hasard à faire successivement ce chef-d’œuvre de dessin et d’exécution » ? Non ; je reconnaîtrais, à l’évidence de l’unité de conception, l’unité d’artiste, et je m’écrierais :

« C’est Phidias ! » comme le monde entier s’écrie : « C’est Homère ! » Passons donc sur ces incrédulités, vestiges de l’antique envie qui a poursuivi ce grand homme jusque dans la postérité, et disons comment il a vécu :

Homère est né neuf cent sept ans[1] avant la naissance du Christ. Il était de race grecque, soit qu’il eût vu le jour à Chio, île de l’archipel grec qui touche à l’Asie Mineure, soit qu’il eût reçu la vie à Smyrne, ville asiatique, mais colonisée par des Grecs.

Les Grecs sortaient alors de la période primitive de leur formation, période pastorale, guerrière, agricole, navale, pour entrer dans la période intellectuelle et morale ; semblables en cela aux neiges de leur Thessalie et de leur mont Olympe, qui roulent leurs eaux troubles et impétueuses avant de s’apaiser et de se clarifier dans leurs vallées. Ce peuple, destiné à occuper, sur un si petit espace, une si grande place dans le monde de l’histoire, de la pensée et des arts, était une agrégation de cinq ou six races, les unes européennes, les autres africaines, les autres asiatiques, que la contiguïté de l’Europe, de l’Asie et de l’Afrique avait mêlées ensemble dans ce carrefour du monde ancien, frontière indécise de trois continents. Leur

  1. Selon la chronologie des marbres de Paros.