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CICÉRON.

voirs, s’empara de toutes les armées, et marcha sans s’arrêter en Espagne, gouvernement de Pompée, pour y combattre ou y embaucher les légions de la république. Il laissa un moment Rome et l’Italie et Antoine et à Curion, ses lieutenants les plus dépravés et les plus audacieux de ses satellites. Ceux-ci, à l’instigation de César, continuèrent de tenter la vertu de Cicéron par les caresses, puis par les menaces.

« Vous pouvez compter, écrit-il à son ami après les avoir vus, qu’il n’y a pas en Italie un homme décrié qui ne soit avec César ! Partons donc, allons trouver Pompée ! Je n’espère plus rien pour la république, que je crois abolie jusqu’aux fondements ; mais je pars pour ne pas voir ce qui se fait sous mes yeux, et ce qui sera plus sinistre encore ! César en est arrivé à cet excès de prendre en gloire le nom de tyran, dont il rougissait jadis ; et Pompée, ligué hier avec lui, prépare sur terre et sur mer une guerre juste, il est vrai, et nécessaire, mais ruineuse s’il est vaincu, et funeste encore aux citoyens s’il est victorieux. Quels hommes dont l’un a déserté et dont l’autre opprime sa patrie ! Suis-je donc, malgré mes infortunes et mes revers, au-dessous de la gloire et de la fortune de ces prétendus grands hommes ? Non, rien de grand que ce qui est honnête ! Je n’en dédis pas ma philosophie. J’ai agi en vue des dieux dans tout ce que j’ai fait pour la république, et j’ai prévu depuis quatorze ans cette tempête où périt l’Italie ! Je partirai avec ce témoignage de ma conscience !

» Je demandai hier à Curion (le lieutenant de César), qui était venu à Arpinum pour me séduire ou pour m’intimider, ce qu’il pensait de la république, et s’il en resterait du moins quelque chose. « Aucune, m’a-t-il répondu, et n’espérez plus rien !… » C’en est fait, il faut que César se perde ou par ses ennemis ou par lui-même, car il est lui-même son pire ennemi. J’espère vivre assez pour le voir ! Quant à moi, il est temps de penser à la vie immortelle, et plus à cette vie courte et périssable ! »

César, informé en Espagne de la résolution de fuir ma-