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CICÉRON.

vase du port. Cornélie, à demi morte de ce pressentiment de l’amour qui révèle au cœur des femmes les périls de ce qu’elles adorent, entoura en vain de ses bras les jambes de son mari pour le retenir. Il l’embrassa avec tendresse en se déliant de son étreinte, et, la laissant presque inanimée sur le pont, il descendit dans la chaloupe en s’aidant de la main d’Achillas. Puis, se retournant une dernière fois pour regarder encore sa femme et son fils, et ne se faisant déjà plus d’illusion sur sa destinée, il leur adressa pour triste adieu ce vers de Sophocle : « Tout homme qui entre dans la cour d’un tyran devient esclave, bien qu’il y soit entré libre ! »

Pendant que la chaloupe traversait la large lagune qui séparait la galère du rivage, un silence embarrassé et sinistre fermait les lèvres des Égyptiens et des Grecs. Pompée, comme pour sonder ce silence et pressentir les sentiments de ses hôtes à l’accent de leur voix, s’adressa à Septimius, et lui demanda s’il ne se trompait pas en croyant le reconnaître pour un homme qui avait fait autrefois la guerre sous ses ordres. Septimius, sans dérider ses traits, et sans répondre autrement que d’un geste muet, lui fit un signe de tête qui voulait dire dédaigneusement que cela était vrai. Le silence continuant sur la chaloupe, Pompée, pour se donner une contenance, ouvrit ses tablettes, et s’occupa à repasser des yeux une harangue en langue grecque, qu’il avait préparée pendant sa navigation pour l’adresser à Ptolémée.

Cependant Cornélie, rappelée à la vie par l’anxiété sur le sort qui attendait son époux au rivage, contemplait du haut de la galère la chaloupe près d’aborder. Elle commençait à se rassurer et il se réjouir en voyant une foule de courtisans richement vêtus descendre jusqu’au bord des flots, comme pour faire honneur et cortége à l’hôte de l’Égypte, et déjà elle rendait grâce aux dieux de son salut.