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CICÉRON.

nom de dictateur perpétuel de Rome, se préparait à aller conquérir les Parthes en Asie, illustrait son crime contre sa patrie par la splendeur et par la mansuétude de son gouvernement, ménageait le sénat, achetait le peuple, rassasiait les légions, et corrompait ce qui restait de liberté dans les âmes par la séduction et la clémence. Cicéron, tout en gémissant assez haut de cette prostration de sa patrie, prenait sa part de la servitude générale plus qu’il ne convenait à un débris vivant de la république et à un ami de Pompée et de Caton. Il haranguait quelquefois au sénat ; il proposait des avis agréables au maître ; il parlait devant lui pour des clients politiques, et lui réservait les grâces de la générosité. Il le louait avec cette indépendance de langage qui place la flatterie dans l’acte et non dans les paroles ; il affectait de défendre la mémoire de Caton et la gloire de Pompée ; il disait de César, pour que ce mot lui fût répété : qu’en relevant les statues de Pompée, il avait affermi les siennes. » Il plaidait devant lui pour lui donner le plaisir de son éloquence, comme un artiste dans une représentation de son art, et faisait tomber de ses mains l’absolution d’un criminel déjà condamné dans son cœur. Il recevait même les visites de César dans sa maison, comme une sauvegarde de sécurité et comme un gage de protection exceptionnelle de l’oppresseur de sa patrie ; il en racontait avec un secret orgueil les circonstances dans ses lettres à ses amis.

« Quel hôte j’ai reçu ! écrivait-il le lendemain, et combien j’avais tort de tant le redouter ! Cependant je n’ai pas sujet de m’en plaindre, et lui-même il a paru ravi ! La veille, César était arrivé dans la maison de son à franchi Philippe, voisin de ma demeure. La maison était inondée de soldats ; à peine la salle où César devait souper était-elle libre ; il avait environ deux mille hommes d’escorter. Chez moi on fit camper les soldats dehors ; ma maison était comme une citadelle. César passa la matinée jusqu’à midi chez Philippe ;