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CICÉRON.

savait pas bien si c’était la peine de demander à César une vie qui cesse d’être à Bome du jour où elle devient le bienfait d’un maître. »

César poursuivit son chemin vers Rome ; il y reçut tous les pouvoirs sous tous les titres qu’il daigna prendre. Il repartit pour l’Afrique, laissant des proconsuls gouverner Rome en son nom derrière lui ; Antoine surtout, le plus soldatesque, le plus servile et le plus effronté de ses complaisants, comme si César eût affecté de montrer à Rome celui qui pouvait le plus le faire regretter lui-même, ou comme s’il eût voulu témoigner son mépris au peuple romain en le faisant dompter en son absence par le plus grossier et par le plus méprisable des soldats. Cicéron s’enferma avec ses livres dans sa maison de campagne de Tusculum, située au bord des bois, aux pieds et aux revers des montagnes d’Albe ; retraite poétique et philosophique d’où ses yeux se promenaient, d’un côté sur la solitude et de l’autre sur les faîtes et sur les fumées des édifices et des temples lointains de Rome. Nous avons visité souvent nous-même les vestiges encore debout de sa maison, de sa bibliothèque, de ses fontaines, de ses jardins, où l’on respire la grandeur, la tristesse, et en quelque sorte l’histoire qu’il y respirait alors lui-même. Il y jouissait en paix et en sûreté de sa patrie ; mais il avait trop payé sa patrie, car il n’y était rentré qu’en laissant la liberté et la dignité sur le rivage.

Pendant qu’il y cherchait des distractions et des consolations dans l’étude, et qu’il y recevait les visites des plus lettrés et des plus érudits des Romains, qui, à défaut de la grandeur du caractère, venaient cultiver et adorer chez lui l’immensité et la variété du génie, César avait vaincu les fils de Pompée en Espagne, et les républicains antiques. Caton s’était tué par cette autre faiblesse qui ne sait pas supporter le temps où l’on est condamné par la Providence à vivre, et le mépris du genre humain. Il régnait sous le