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CICÉRON.

ses tendresses, et qu’il s’éloigna d’elle et se renferma dans la solitude avec ses larmes et son génie.

C’est la qu’il écrivit sans relâche et sans lassitude d’esprit les livres admirables dont chaque fragment est un monument achevé de sagesse, de maturité, de science, d’universalité, de style. La civilisation antique, si l’histoire était perdue, se retrouverait tout entière dans ces fragments des derniers écrits de ce grand homme. Il y concentre tout ce que le genre humain a pensé, imaginé ou senti de plus parfait en Asie, en Grèce, à Rome, jusqu’à son époque, dans l’expression la plus splendide, et dans la langue la plus harmonieuse que l’intelligence humaine ait jamais élaborée pour donner un corps à l’esprit. C’est la pensée devenue sous sa main méthode, image et musique. Le seul reproche peut-être qu’on puisse adresser à ces œuvres réfléchies de Cicéron, c’est l’excès même de leur perfection. En travaillant chaque pensée et en polissant chaque phrase jusqu’à l’effacement des moindres aspérités de l’épiderme sur son style, il s’enlève quelque chose de ces incorrections faciles et de ces négligences heureuses qui sont les flexibilités et les mollesses du génie. Rien n’y prédomine assez, parce que tout y est prédominant à la fois. Cependant cette perfection chez lui n’est point laborieuse, elle est naturelle. Son imagination ne produisait rien qui ne fût conforme et ce modèle intérieur qu’il portait en lui plus qu’aucun autre homme, et qu’on nomme la beauté. Cette recherche, naturelle chez lui, de la beauté, ne nuisait point à sa fécondité. Il discourait avec ses amis, il haranguait les tribunaux et le peuple, il écrivait, comme nous respirons, sans relâche, sans volonté et sans efforts. Il répondait à ces envieux de Rome qui lui reprochaient ses loisirs dans sa retraite de Tusculum : « De quoi se plaignent-ils ? Dans cette prétendue oisiveté, j’écris plus, de ma main ou de la main de mes secrétaires, qu’ils ne peuvent lire dans un jour ! »