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CICÉRON.

Là, disait-il en parlant de sa maison d’Astura, autre retraite plus profonde près d’Antium, qu’il remplissait de ses études et de ses ennuis, là je vis sans commerce avec les hommes. Dès la première lueur du jour, je m’enfonce dans la profondeur des forêts qui m’entourent, et je n’en sors que le soir ; je n’ai d’entretien qu’avec mes livres, et cet entretien n’est interrompu que par mes larmes ! » Il portait alors dans son âme le deuil de Tullia, sa fille, qu’on l’accusait d’aimer jusqu’à diviniser son image. Il ruinait sa fortune a peine rétablie pour lui élever un temple aux portes de Rome et pour immortaliser ses regrets. « Oui, s’écriait-il dans le délire de son adoration paternelle, en s’adressant a l’ombre de son enfant, oui, je veux te consacrer, ô toi la plus tendre et la plus accomplie des filles ! je veux t’installer dans l’assemblée des êtres divins, et t’offrir au culte des mortels ! » Il essayait de calmer son désespoir en écrivant pour lui-même un traité de la Consolation ; pages trempées de larmes, dans lesquelles il accumule tout ce que la raison, la philosophie, la religion, la gloire, les lettres, le ciel et la terre peuvent offrir d’efficace pour consoler de la perte de ce qu’on aime, sans pouvoir parvenir à l’oublier.

Ses remords secrets d’avoir, sinon abandonné, du moins négligé la république, et le désir de protester par son estime pour cette vertu qu’il admirait sans l’imiter, lui dictèrent une magnifique apologie de Caton. Il y avait de la vertu dans cet hommage à la vertu sous les yeux de la tyrannie ; César pouvait s’offenser de cet éloge d’un ennemi, ennemi qui n’était pas grand, si César n’était pas coupable. Le dictateur ne s’en offensa pas ; il laissa à Cicéron cette vaine consolation de louer les morts de la liberté, et il trouva le temps, au milieu des soins de l’empire, de répondre de sa propre main à Cicéron par un autre livre intitulé l’Anti-Caton. Mais, tout en réfutant Cicéron, César,