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CICÉRON.

au salut de la patrie. L’âme accoutumée à ce noble exercice s’envole plus facilement vers sa demeure céleste ; elle y est portée d’autant plus rapidement, qu’elle se sera habituée, dans la prison du corps, à prendre son élan, a contempler les objets sublimes, à s’affranchir de ses liens terrestres. Mais, lorsque la mort vient et frapper les hommes vendus aux plaisirs, qui se sont faits les esclaves infâmes de leurs passions, et, poussés aveuglément par elles, ont violé toutes les lois divines et humaines, leurs âmes dégagées du corps errent misérablement autour de la terre, et ne reviennent dans ce séjour qu’après une expiation de plusieurs siècles. »

» À ces mots il disparut, et je m’éveillai… »

Que dirait-on de plus beau et de plus pur en morale aujourd’hui ? Le pressentiment de Cicéron devançait le monde de vingt siècles.

Pendant que ce grand homme se consolait ainsi dans l’entretien de son âme avec elle-même, avec les grandes âmes de tous les siècles et avec la Divinité, de la servitude et de la dégradation de sa patrie, César achevait en quatre ans la courte carrière de tous les tyrans. Le crime de ses assassins vengeait sur lui le crime du Rubicon. Ses assassins étaient Brutus, Cassius, Casca, et toute la jeunesse patricienne, lettrée et républicaine de Rome. Nourris des leçons de l’inflexibilité antique et des exemples d’Harmodius et d’Aristogiton, ces jeunes gens rougissaient de vivre sous un maître qui leur avait enlevé toute la dignité de la vie. Ils croyaient que le sang du tyran purifiait le poignard. Vertu fausse et cruelle qui pervertissait en eux jusqu’à la nature, qui changeait des citoyens en meurtriers, qui poussait les amis de Brutus jusqu’à l’assassinat, et lui-même, fils peut-être de César, jusqu’au parricide. L’antiquité admirait encore ces assassinats pour la liberté. L’humanité actuelle ne s’y trompe plus. La liberté, la patrie,