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CICÉRON.

procher de la plage, et se confia de nouveau aux flots.

Il avoua à ses affranchis que, lassé d’incertitude et de fuite, il avait résolu un moment de rentrer à Rome et d’aller s’ouvrir lui-même les veines sur le seuil d’Octave, afin de se venger du moins, en mourant, d’une ingratitude écrite en caractères de sang sur le nom de ce parricide, et d’attacher à ses pas, avec la mémoire de son crime, une furie qui ne le laissât reposer jamais !… La crainte des tortures qu’on lui ferait subir, s’il était arrêté avant d’avoir accompli son suicide, l’avait retenu et ramené à bord. Il navigua quelque temps indécis en vue du rivage, puis, rappelé encore par on ne sait quelles pensées, il ordonna à ses rameurs de le ramener à sa maison de campagne de Gaète, qu’il avait quittée le matin. Ses serviteurs lui obéirent en gémissant et en pleurant sur son trépas. La galère se rapprocha de la plage où s’élevait le temple.

Les présages, langue divinatoire perdue aujourd’hui, qui annonçait, interprétait, solennisait tous les grands actes tragiques des citoyens ou des empires, avertirent et consternèrent, en abordant, les serviteurs de Cicéron. Au moment où la galère cherchait à franchir les dernières lames pour jeter l’ancre aux pieds du promontoire, une nuée de corbeaux, corbeaux, oiseaux fatidiques qui perchaient sur les corniches du temple, s’élevèrent du toit avec de grands cris et, voltigeant au-devant de la galère, parurent vouloir repousser ses voiles et ses vergues vers la grande mer, comme pour lui signaler un danger sur le bord. Cicéron, soit que sa philosophie s’élevât au-dessus de ces superstitions populaires, soit qu’il acceptât l’augure sans chercher à l’écarter, n’en monta pas moins les rampes qui conduisaient à sa maison. Il y entra, et, s’étant jeté tout habillé sur un lit pour se reposer de ses angoisses ou pour se recueillir dans ses pensées, il ramena sur son front le par de sa toge, afin de ne pas voir la dernière lueur du jour. Mais les corbeaux