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CICÉRON.

de l’ingratitude dans le sang du bienfaiteur. Il somma les serviteurs et les affranchis restés dans la maison de lui dénoncer la retraite de leur maître. Tous répondaient qu’ils ne l’avaient pas vu, et lui donnaient ainsi le temps de fuir, quand un lâche adolescent, disciple chéri de Cicéron, fils d’un affranchi de son frère, cultivé par lui comme un fils dans la science et dans les lettres, et nommé Philologus, indiqua du geste aux soldats l’allée du jardin par laquelle son patron et son second père descendait vers la mer. À ce signe mortel, Hérennius, Popilius et leur troupe s’élancent au galop sur les traces de la litière, et font résonner de leurs cris, du cliquetis de leurs armes et des pas de leurs chevaux le chemin creux du jardin qui mène au rivage.

À ce bruit tumultueux qui s’approche, qui tranche toutes ses irrésolutions, et qui repose enfin son âme dans la certitude de la mort, Cicéron veut au moins la recevoir, et non la fuir : il ordonne à ses esclaves de s’arrêter et de déposer la litière sur le sable. On lui obéit ; il attend sans pâlir ses assassins, il appuie son coude sur son genou, soutient son menton dans sa main, comme c’était son habitude de corps quand il méditait en repos dans le sénat ou dans sa bibliothèque, et, regardant d’un œil intrépide Hérennius et Popilius, il leur évite la peine de l’arracher de sa litière, et leur tend la gorge, comme un homme qui, en allant au-devant du coup, va au-devant de l’immortalité.

Hérennius lui tranche la tête, et la porte lui-même à Antoine, pour qu’aucun autre, en le devançant, ne lui dérobe la première joie du triumvir, le prix du crime auquel il a dévoué son épée.

Antoine, qui venait d’entrer à Rome, présidait l’assemblée du peuple pour les élections des nouveaux magistrats au moment où Hérennius fendait la foule pour lui offrir la tête du sauveur du peuple. « C’en est assez ! s’écria An-