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CICÉRON.

toine en apercevant le visage livide de celui qui l’avait fait si souvent pâlir lui-même ; voilà les proscriptions finies ! » témoignant ainsi, par ce mot, que la mort de Cicéron lui valait à elle seule une multitude de victimes, et délivrait son ambition de la dernière vertu de Rome !

Il ordonna de clouer la tête sanglante de Cicéron, entre ses deux mains coupées, sur la tribune aux harangues ; suppliciant ainsi la plus haute éloquence qui fut jamais, par les deux organes de la parole humaine, le geste et la voix. Mais Fulvie, femme d’Antoine, ne se contenta pas de cette vengeance ; elle se fit apporter la tête de l’orateur, la reçut dans ses mains, la plaça sur ses genoux, la souffleta, lui arracha la langue des lèvres, la perça d’une longue épingle d’or qui retenait les cheveux des dames romaines, et prolongea, comme les Furies dont elle était l’image, le supplice au delà de la mort ! honte éternelle de son sexe et du peuple romain !

Cicéron mort, les triumvirs s’entre-disputèrent la république. Octave prévalut. La tyrannie, qui n’avait été jusque-là qu’une éclipse de la liberté, devint une institution. Elle dispensa le peuple de toute vertu. Elle fit aux Romains, selon le hasard des vices ou des vertus de leurs maîtres, tantôt des temps de servitude prospère, tantôt des règnes de dégradation morale et de sang, qui sont l’ignominie de l’histoire et le supplice en masse du genre humain.

Voilà une des grandes pages de l’histoire de Rome. Nous en donnerons d’autres.