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CÉSAR.

ciers menacés dans leurs créances, adoptaient sans examen les monstrueuses rumeurs répandues sur Catilina. Ils avaient réussi, grâce à la crédulité vraie ou feinte du consul, à faire de leur cause la cause de la patrie. Un seul homme aurait pu contre-balancer tant de haines en se posant avec son parti entre l’accusé et ses accusateurs : c’était César. Mais César manqua de cœur ce jour-là. Quelle que soit l’audace, nulle ambition n’est audacieuse contre une frénésie publique. Il y a des vents qu’il convient de laisser passer en s’abritant, pour se relever quand ils s’apaisent. C’est ce que fit César.

Cependant Catilina, plus sur que personne du néant des attentats, des meurtres et des incendies qu’on lui imputait, se garda bien de les confesser par la fuite ; il parut résolument au sénat, où il ne devait rencontrer que des ennemis, des accusateurs ou des lâches. Tout le monde s’écarta de lui, comme d’un de ces hommes contagieux qui portent l’impopularité avec leur ombre. Cicéron l’apostropha sans danger dans une de ces harangues immortelles qu’il cisela et polit et loisir bien des années après, comme on cisèle et comme on polit la lame du poignard avec lequel on frappe un ennemi public, non-seulement dans sa vie, mais dans sa mémoire. Cette Catilinaire théâtrale et cette intrépidité d’apparat tiennent plus de la scène que du sénat. Il n’y a aucun courage à invectiver celui que personne ne défend. L’accusation de Cicéron contre Catilina est seulement la plus magnifique et la plus oratoire, la plus longue injure que le génie de l’éloquence ait jamais soufflée à des lèvres d’homme.

Cicéron, après cette invective, se rassit tranquillement pour s’essuyer le front sur sa chaise curule. César se fut. « Catilina, dit Salluste, les yeux baissés et d’une voix modeste, se borna à supplier ses collègues de ne rien redouter de semblable à ce que Cicéron venait d’inventer de ses