Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 34.djvu/308

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
307
CÉSAR.

recevoir un maître. Oui, afin que, si nous sommes vaincus, il nous en coûte toujours la liberté ! Quel parti prendrez-vous donc ? Je ferai comme les bêtes qui suivent leur troupeau : je suivrai les gens de bien ou ceux qui passent pour tels, quelque mauvais parti qu’ils puissent prendre. Mais cela ne m’empêchera pas de voir qu’étant pris si fort au dépourvu, il faut acheter la paix à quelque prix que ce soit. L’événement de la guerre est toujours incertain, mais il est bien sur que, si César à l’avantage, il n’épargnera pas plus le sang des principaux citoyens que Cinna, et qu’il s’emparera du bien des riches avec autant d’avidité que Sylla.

» Voilà raisonner longtemps de politique, et je continuerais, si ma lampe ne s’éteignait pas !… »

César cependant semblait rester immobile et comme frappé de stupeur à Ravenne, devant le déchirement de la patrie. Il n’appelait à lui ostensiblement aucune des légions dont parle Cicéron. Il n’avait à Ravenne que les débris d’une légion et quelques cavaliers. Mais, au retour des tribuns dans son camp, il rassemble ce petit nombre de soldats, et il les harangue en citoyen consterné des malheurs de sa patrie et de la violation des lois plutôt qu’en général impatient de la servir. Il a noté lui-même le texte de sa harangue dans ses Commentaires : étalant devant ses soldats les « violences faites par le sénat à la majesté du peuple, l’expulsion des tribuns, l’autorité dictatoriale usurpée sur les lois sans autre prétexte que la haine et la jalousie contre lui, et conjurant, au nom de ces lois violées et de la liberté de Rome, les soldats d’aller porter secours à la république ! Ce n’est plus sa cause, c’est la cause des dieux, des lois et des hommes ! »

Les soldats, qui avaient pour garants de telles invocations à leur patriotisme la longue patience de César et la présence des tribuns, images vivantes des lois abolies,