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CÉSAR.

Sans ordre de leur général, sans aveu de leurs officiers interdits devant la sainteté des lois qui protestaient ainsi par la voix de la pierre, de la terre et de l’eau contre leur premier pas dans le crime, les troupes, éparses sur la rive gauloise du Rubicon, attendaient une impulsion des dieux ou des hommes.

César semblait protester lui-même par son absence contre leur sacrilége. Il se tenait enfermé dans sa maison de Ravenne et paraissait plongé dans un abîme d’indécision. Ce n’était pas scrupule : il n’y en a point dans l’âme des hommes qui ne croient ni à l’existence des dieux ni à la conscience humaine, pressentiment de leur justice, ni à l’immortalité de l’âme, répondant dans une autre existence de la moralité de ses actes d’ici-bas. Tous les grands crimes politiques sont commis par les fanatiques ou par les impies ; on a vu que César avouait tout haut son athéisme et ne reconnaissait d’autre dieu que sa fortune, c’est-à-dire cette combinaison aveugle, sourde et fatale de circonstances, qui gouverne au hasard la destinée des hommes et qui les fait avec la même impassibilité victimes ou bourreaux, esclaves ou tyrans, heureux ou malheureux sur la terre. Cette doctrine, qui est celle des ambitieux, les absout d’avance de tout ce qu’ils tentent pour leur puissance ou pour leur gloire.

Il n’y avait donc point d’attentat pour César ; mais il y avait en lui trois choses qui agissent à leur insu sur les hommes les plus endurcis aux scrupules et qui les font délibérer profondément avec eux-mêmes au moment de consommer les actes irrévocables de leur vie : l’habitude, la nature de leur caractère et l’incertitude du succès. L’innocence à son agonie comme la vie dans le cœur de l’homme ; il n’est accordé à personne de triompher sans combat de la vertu.

César, né au premier rang d’une république qui l’avait