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CÉSAR.

traité en favori et dont la légitimité, dogme sacré de Rome, coulait avec son sang dans les veines des Romains, avait été élevé dans le préjugé salutaire de l’inviolabilité du sénat et du peuple et dans l’exécration de la tyrannie. Lever la main contre ces fantômes que son ambition jugeait, mais que sa tradition respectait, produisait en lui on ne sait quelle horreur semblable à celle du parricide. Rome était une ruine de liberté et de vertu, il est vrai ; mais c’était cependant quelque chose d’énorme, et, pour ainsi dire, de divin ou d’infernal, que de porter le premier la main sur cette ruine et de la faire écrouler sur l’Italie et sur le monde avec un bruit qui retentirait dans tous les siècles.

Et lui substituer quoi ? le seul nom de César et la tyrannie d’un homme de génie qui ne laisserait après lui que des hommes médiocres ou pervers pour combler l’abîme qu’il aurait creusé. Il y a dans les institutions même ruinées, mais encore debout, une certaine vertu qui se confond avec la vétusté des choses et avec les souvenirs des peuples, et qui tient au moins la place de ce qui devrait être par l’apparence de ce qui a été. C’est comme la mémoire postérieure des institutions qui impose encore aux peuples, même quand l’âme de ces institutions s’est envolée. Déblayer cette ruine, balayer cette mémoire, souffler ce fantôme et montrer au monde le néant et l’horreur de ce sépulcre vide qui leur dérobait la mort de la république romaine, il y avait la de quoi imprimer une terreur secrète même à un esprit de la trempe de César !

Mais, en supposant que l’esprit de César fût assez supérieur au préjugé et assez résolu pour se jouer de cette superstition de l’habitude, son caractère était tel qu’il devait s’effrayer des torrents de sang dont la déclaration de guerre ouverte à la patrie allait ouvrir la source. Non-seulement César n’avait rien de la férocité de Marius ni